I Want That You Are Always Happy | The Middle East

Ou l’histoire d’un groupe à la destinée tout aussi chaotique que l’endroit inspirant leur nom. Originaires de Townsville, Queensland, Australie, ce collectif (le line-up étant très changeant) sortit un album en 2008, intitulé The Recordings Of The Middle East. Véritable bijou mélangeant folk, ambient, post-rock ou country, celui-ci ne rencontra pas le succès escompté et tout ce beau monde fit ses adieux à The Middle East. Ou plutôt ses « au revoir ». Huit mois plus tard, après un buzz mérité et sous la pression de la blogosphère, ils convinrent d’une reformation et sortirent une version allégée de leur premier album en tant qu’EP. C’est alors qu’ils firent la première partie sur les tournées australiennes de Doves ou Grizzly Bear, par exemple, et qu’ils reçurent l’aumône Pitchfork-ienne.

C’est donc avec grande joie et grandes espérances que je vis ce deuxième album sortir. I Want That You Are Always Happy débute par le biais de la voix plaintive de Jordan Ireland, frontman du groupe. Black Death 1349 fait référence à l’épidémie de peste noire ravageant l’Europe la même année, tout un programme… À l’introduction minimaliste suit une ambiance post rock et ses basses bourdonnantes, abyssales, surplombées d’une voix toujours aussi haute et légère. Ainsi ce morceau se fond dans My Grandma Was Pearl Hall, dont le chant oppressé ne suggère que douleur et chagrin. Impression renforcée par les rares notes de piano finales, accompagnées d’une saturation aux aigües de violons lointains. Non, ce groupe n’est pas réjouissant. Non, vous n’écouterez pas ce disque les après-midis estivaux au parc avec votre petite-amie. Et pourtant.

L’album prend son envol sur As I Go To See Janey, morceau crépusculaire sur lequel la guitare acoustique se fait un peu plus dynamique et le piano, plus chaleureux. Crépusculaire, car celui-ci ne sert que de transition avant Jesus Came To My Birthday Party. Premier single issu de cet album, cette piste marque un tournant dans l’évolution musicale du groupe. La voix angélique de Bree Tanter se joint à celle d’Ireland, la batterie fait son entrée, de même que les riffs électriques pour une chanson se rapprochant presque d’une œuvre de ces joyeux drilles d’Arcade Fire ou de Band Of Horses. Les sifflements finaux ne font que confirmer l’impression que ce collectif s’est lassé de cette musique presque apocalyptique faisant la beauté de The Recordings Of The Middle East. Alors, ne nous y trompons pas, l’indie rock de ce single n’a rien pour me déplaire : la qualité est là, l’énergie idem, le songwriting itou, mais j’espère juste que ceci n’est pas fait dans le but de délaisser totalement ce que je trouvais de sublime dans leur œuvre passée.

http://player.soundcloud.com/player.swf?url=http%3A%2F%2Fapi.soundcloud.com%2Ftracks%2F14282181&show_comments=false&color=3e3e3e&g=1The Middle East – Jesus Came To My Birthday Party

L’on continue donc sur Land Of The Bloody Unknown, presque du même acabit mais se rapprochant plus du Blood de leur premier album, concourant presque naturellement pour la place du second single. Mélodie simple mais efficace. La guitare, haute, soulage la lourdeur de la basse avec l’aide de cette voix toujours aussi belle de Jordan Ireland. Place ensuite à Very Many. Guitare et violons se mêlent au piano et au chant bruissé pour une chanson intime, touchante et dont la montée en puissance nous empoigne sans jamais nous laisser quelconque perspective de libération.

On se perd dans les accords de Sydney To Newcastle, interlude discret au milieu de l’album, tandis qu’une voix lointaine nous indique de lointaines voies. Le groupe nous laisse une pause, nous laisse nous relâcher pour mieux nous ressaisir sur Mount Morgan. Faisant référence à une petite bourgade minière du Queensland où l’on exploitait l’or à foison, on retrouve là le Middle East que l’on aime. Construction crescendo, voix grave et ambiance sombre mais une lueur s’en dégage, alors que les cordes distordues s’harmonisent au milieu de clinquantes cymbales et d’un noisy post-rock à en faire rougir Godspeed  You! Black Emperor. On pourra noter également une ressemblance avec Black Mountain, sur leur album In The Future. Les notes jazzy finales sont les bienvenues pour clôturer ce morceau et faire la transition avec Months. Là aussi, le triptyque guitare/piano/voix prend le dessus mais dans une optique plus americana, où le tempo s’accélère au milieu de la chanson dans un tourbillon instrumental fourni mais toujours rigoureux. Dan’s Silverleaf fait également la part belle à une sorte d’alt-country sur laquelle vient se poser un duo de voix, celles de Tanter et Ireland, et l’on se laisse volontiers emporter par cette foison d’instruments. Réminiscences des Fleet Foxes, ce titre se poursuit avec Hunger Song dont la construction et l’ambiance suggérée sont les mêmes, cette dernière poussant le tempo encore un peu plus.

http://player.soundcloud.com/player.swf?url=http%3A%2F%2Fapi.soundcloud.com%2Ftracks%2F13612948&show_comments=false&color=3e3e3e&g=1The Middle East – Dan’s Silverleaf

Ninth Avenue Reverie vient briser cette dynamique. Ballade folk où la guitare et l’harmonica accompagnent le chant, l’intimité véhiculée nous cajole et nous plonge dans l’onirisme de Deep Water. Les balais caressent la caisse claire alors que l’on s’imagine aisément au crépuscule, errant sur un paysage volcanique islandais (oui, ceci aurait pu être une chanson de Sigur Ros), bercés par les trémolos de la voix d’Ireland. Nous avons à faire là à l’une des toutes meilleures œuvres de The Middle East, laissant exposer tout leur talent dans, paradoxalement, l’une des pistes les plus dépouillées de l’album, durant tout de même près de dix minutes (les deux dernières n’étant que du silence). Ce vide est plus tard  rempli par le mur sonore de Mount Morgan End, duquel émerge des notes de saxophone tels des navires perdus dans une tempête nocturne aux Cinquantièmes Hurlants et clôturant l’album de manière apocalyptique.

http://player.soundcloud.com/player.swf?url=http%3A%2F%2Fapi.soundcloud.com%2Ftracks%2F13791999&show_comments=false&color=3e3e3e&g=1The Middle East – Deep Water

The Middle East nous pond là un album suggérant différentes ambiances par le biais d’approches l’étant tout autant. Cependant, chaque morceau est à sa place et fait partie d’un tout, à l’image d’un livre composé de chapitres : impossible d’en sauter un sous peine de perdre le fil. Seule exception, le single Jesus Came To My Birthday Party, dont la qualité est indéniable mais dont les riffs et l’ambiance presque guillerette se retrouvent esseulés au sein de ce disque. On note également la longueur de l’album, plus d’une heure. Le groupe prend ainsi son temps pour nous conter ses histoires et nous parler de son territoire austral mystérieux mais diablement attirant. Il faudra donc du temps à l’auditeur pour savourer cet album et ne pas se laisser piéger par l’introduction –trop ?– noirâtre relayée par un single ne collant pas vraiment au rang musical du groupe. I Want That You Are Always Happy fait partie de ces CD que l’on interprète nouvellement à chaque écoute. Ici, chaque interprétation est meilleure que la précédente.

  1. Black Death 1349
  2. My Grandma Was Pearl Hall
  3. As I Go To See Janey
  4. Jesus Came To My Birthday Party
  5. Land Of The Bloody Unknown
  6. Very Many
  7. Sydney To Newcastle
  8. Mount Morgan
  9. Months
  10. Dan’s Silverleaf
  11. Hunger Song
  12. Ninth Avenue Reverie
  13. Deep Water
  14. Mount Morgan End

I Want That You Are Always Happy, sur Spunk Records

Sorti le 8 avril 2011

Franck

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